Moussa Camara, créateur en 2015 de l’association Les Déterminés était de passage chez kwerk il y a quelques jours. L’occasion pour nous d’échanger avec cet entrepreneur hors du commun sur le lien entre économie et social dans les quartiers populaires.
Moussa, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Je suis entrepreneur depuis 15 ans. J’ai monté ma première boîte et rien ne me prédestinait à être entrepreneur. J’ai fait une rencontre à ce moment-là qui m’a permis de développer mon entreprise, de gagner de l’argent, et avec cet argent-là, j’ai commencé à mieux vivre, à mieux faire vivre ma famille et à faire en sorte que ma réussite contribue à celle des autres et à celle des amis avec qui j’avais grandi. Avec cette opportunité j’ai créé tout un écosystème et un cercle vertueux autour de moi. À côté de ça j’ai créé dans ma ville Cergy-Pontoise une première association.
Le projet Les Déterminés s’est nourri de tout cela. Et c’est là où j’ai vu l’impact et la force économique des populations. Quand je lance le projet Les Déterminés, je n’ai pas de réseau d’entrepreneurs, je n’ai personne dans mon entourage qui entreprend et finalement je fais la rencontre de Pierre Gattaz. Il est séduit par le projet, ne connais pas les problématiques de territoires mais me propose de mettre son réseau économique à disposition. Nous lançons ensuite le concept des Déterminés.
Quelle est la mission des Déterminés ?
C’est un programme gratuit dans lequel on prend des gens qui ont une volonté d’entreprendre, sans autre contrainte (niveau d’études, âge…) qu’une capacité à vouloir se projeter sur un parcours entrepreneurial de long terme.
On a réuni tout un écosystème autour de nous, constitué d’entreprises, d’intervenants de qualité, de dirigeants… des personnes qui pouvaient avec nous construire un parcours pédagogique, pour pouvoir donner à ces entrepreneurs « qui ont la dalle » tous les outils pour faire en sorte qu’ils sortent, soit avec une création d’entreprise, soit avec un projet assez abouti pour pouvoir se développer en 6 mois.
Et en quelques années, le projet a pris une ampleur assez importante à l’échelle nationale. Il a commencé en Île-de-France et aujourd’hui on intervient dans une quinzaine de villes en France. Aujourd’hui, ce sont plus de 6000 personnes qu’on a sensibilisées sur les questions d’entreprenariat et je pense qu’on est au goût du jour parce que qu’avec Les Déterminés on a contribué à faire changer les mentalités auprès du monde économique comme auprès des personnes qui ne se projetaient pas dans l’entreprenariat, et pour nous ça c’est hyper important. Parce que l’idée n’était pas de créer un écosystème dans un écosystème, c’était de dire, « comment des entrepreneurs qui vont développer des business et qui vont créer des emplois, intègrent l’environnement économique, cet écosystème qui leur paraissait si loin d’eux ».
On a observé qu’en général, 3 ans après la création de leur entreprise, parce qu’ils n’ont pas les réseaux, parce qu’ils n’ont pas forcément la méthode, l’accès au financement, ceux qui entreprennent perdent leur boîte, même quand ils créent de belles boîtes qui recrutent 200 salariés, en raison d’un manque de structuration et un manque de développement. C’est ce que nous faisons : rassembler un peu le monde économique et les entrepreneurs. Ces gens qui manquent de confiance car ils n’ont pas fait d’école et ne viennent pas de ce monde-là, se rendent compte qu’ils arrivent à s’adapter, à comprendre facilement les codes et à faire bouger les lignes pour avoir un impact plus fort.
Pour vous la clé est d’agir sur le social en agissant sur l’économique.
Ce qu’on a voulu faire avec Les Déterminés, c’est attaquer les difficultés des gens par la question économique. Pour nous le sujet est économique. Il est social certes mais il est économique parce qu’aujourd’hui ces difficultés viennent du fait que les gens ne savent pas comment ils vont finir la fin du mois, comment ils vont pouvoir élever leurs enfants dans des conditions qui ne sont pas forcément faciles. Nous pensons qu’une élévation économique, une autonomie et une indépendance financières des habitants des territoires peut changer la donne.
Parce que c’est bien de regarder dans un angle social et d’aide, mais c’est ce qu’on fait depuis plus de 40 ans et depuis plus de 40 ans on n’a pas réglé les problèmes dans ces territoires là. Aujourd’hui, les gens ce qu’ils veulent et ce qu’ils demandent, ça n’est pas d’être assistés. Ils demandent qu’on leur donne les clés pour pouvoir faire en sorte d’être autonomes, de faire leur projet, d’investir, d’acheter une maison, de voyager, d’avoir cet esprit de liberté.
Ce que j’ai voulu faire avec Les Déterminés c’est se dire qu’il y a un potentiel énorme dans nos quartiers. Ce qu’on veut expliquer derrière le projet économique, c’est que c’est plus qu’un projet économique : c’est un projet sociétal, c’est un projet qui change des femmes et des hommes, c’est un projet qui concrétise des rêves, qui change des trajectoires et des destins et qui fait en sorte que n’importe qui, peu importe son parcours s’il a une volonté forte, s’il est dans les bons dispositifs, avec les bons réseaux et surtout s’il a une grosse capacité de travail et de détermination, peut y arriver.
Quel est le bilan aujourd’hui ?
C’est un projet qui se développe avec une forte croissance. C’est une formation qui n’est pas classique et que nous avons fait le choix de conserver totalement gratuite pour les bénéficiaires. La contrepartie c’est qu’on est très sélectifs : on va recevoir près de 500 candidatures pour finalement en garder 15 à 20, voire 30. L’objectif c’est de leur donner toute l’attention possible mais aussi qu’ils sachent pourquoi ils sont là et qu’ils aillent jusqu’au bout et qu’on atteigne un taux de réussite qui dépasse les 80% d’entrepreneurs à la fin du programme.
En quelques années, ce sont plus de 800 personnes que nous avons accompagnées entre 6 mois et 1 an. Ça n’est pas du distanciel, c’est du présentiel, c’est du temps presque à 100%. Le temps à la personne est hyper important parce que pour amorcer un vrai changement à un certain public, il faut de la proximité, il faut de la considération, il faut du respect, il faut les voir évoluer et acquérir la confiance.
Grâce à ça, aujourd’hui il y a 450 entreprises qui ont été créées et plus de 300 emplois autour de ces entreprises, avec 64% de femmes car on a voulu mettre l’accent sur les femmes parce qu’il y a un vrai sujet-là-dessus. Dans ce qu’on a amorcé à Cergy, on a vu qu’avec le nombre de personnes qui ont entrepris, le nombre de personnes qui ont développé des entreprises dans notre ville, par exemple dans les métiers des télécoms et de l’informatique ça a tout arrêté : réduction du chômage, réduction de la délinquance qui nous ont permis de retrouver un apaisement dans le quartier. Parce que l’économie ça change tout, on a mis un axe fort là-dessus.